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ExpertisesPublié le 12/12/2025
7 min

Lunar Roving Vehicle : Challenge lunaire


C’est une petite voiture, légère, pliable, presque rustique et pourtant, elle a posé la première pierre de ce qui sera peut-être la future économie énergétique de la Lune. Avec son architecture électrique élémentaire et ses batteries argent-zinc non rechargeables, le Lunar Roving Vehicle (LRV) des missions Apollo a fonctionné comme un laboratoire à ciel ouvert (sans jeu de mot) pour répondre à une question qui obsède aujourd’hui agences spatiales et industriels : à quoi ressemble une batterie qui doit survivre là où rien n’est fait pour elle ? En analysant ce rover conçu en 17 mois et abandonné sur place en trois exemplaires, on découvre que l’histoire du premier véhicule électrique lunaire est aussi peut-être l’histoire des futurs standards énergétiques de l’économie lunaire.

Crédit photo : Le LRV déployé pour Apollo 15 – @NASA

Le LRV devenu matrice énergétique

Quand la NASA valide le projet en 1969, elle ne commande pas un véhicule futuriste, mais un engin utilisé comme un consommable scientifique : un outil capable de s’ouvrir comme un transat, de supporter deux astronautes et d’étendre le rayon d’exploration. Boeing et Delco ont 17 mois pour livrer un véhicule 100 % électrique, 100 % fiable, 100 % sacrifiable. Le résultat est une plate-forme tubulaire de 210 kg, pliable, fonctionnelle, pensée pour être abandonnée sur place. Autant dire un manifeste technique sur la manière de penser l’énergie sans maintenance.

Il faut visualiser, aucune recharge possible sur la Lune, aucune infrastructure, aucun panneau solaire embarqué, aucun module de secours. Seules deux batteries argent-zinc de 36 V, irréversibles, scellées, conçues pour ne délivrer qu’un cycle de vie : 121 Ah chacune, soit 242 Ah pour l’ensemble du système. Dans un environnement où les températures passent de +120 °C à −155 °C, avec un vide absolu et une poussière abrasive, ces accumulateurs devaient tenir environ 57 km théoriques, bien plus que les distances réellement parcourues.

Gérer l’énergie comme une denrée

Le LRV a été pensé comme un projet de sobriété énergétique maximale. Pas par militantisme : par nécessité. Chaque watt disponible devait être investi dans le déplacement, la direction, la caméra, la communication. Rien de superflu, aucune redondance luxueuse, aucune électronique gourmande. Cette architecture crée un précédent fondamental et surtout qui pourrait résonner aux oreilles des constructeurs : sur la Lune, l’énergie n’est pas un flux, mais un stock. Tant qu’aucune infrastructure de recharge n’existe, un véhicule lunaire fonctionne dans une économie d’accumulateurs jetables, où la batterie n’est plus un consommable de mobilité mais un actif logistique.

Ce modèle, à lui seul, préfigure l’économie énergétique des bases lunaires : avant que l’on ne construise des stations solaires, du stockage thermique ou des piles à combustible régénérables, la première contrainte sera celle d’un coût par kilowatt-heure livré depuis la Terre. Pour Apollo, chaque batterie argent-zinc coûtait cher, pesait lourd, prenait du volume dans le module lunaire, et n’avait qu’une seule vie utile. Aujourd’hui, alors que les concepts de rovers (GM, JAXA–Toyota, Intuitive Machines) imaginent des missions plus longues et des plateformes partagées, c’est encore cette logique héritée du LRV qui prédomine : aucune mission robotique ou habitée ne peut se permettre une surconsommation énergétique.

Crédit photo : Le LRV déployé pour Apollo 15 – @NASA

Fragilité thermique, robustesse mécanique

Les batteries argent-zinc du LRV ne se sont pas seulement contentées d’alimenter quatre moteurs de 190 W. Elles ont surtout servi de test grandeur nature pour comprendre ce que stocker de l’énergie dans un environnement où la chaleur ne se dissipe pas représente comme défi. Là où le froid pénètre tout, et où aucune convection n’existe pour équilibrer les températures. Le système embarquait des boîtes à cire, des isolants multiples et une compartimentation stricte pour maintenir la chimie autour d’une plage étroite.

Et c’est sans doute ici que se trouve la grande leçon industrielle d’Apollo : même avec un véhicule simple, robuste, dépourvu de recharge, la thermorégulation représente un coût énergétique majeur. Sur les futurs rovers, qui se rechargeront (panneaux solaires, piles reconstructibles, batteries échangeables), c’est toujours la gestion thermique qui déterminera le rendement réel. L’économie énergétique lunaire ne dépend donc pas seulement de la densité des batteries mais de leur capacité à ne pas mourir à cause du climat lunaire.

Un 4×4 qui préfigure la logique de redondance énergétique

Chaque roue du LRV possédait son propre moteur, son propre train d’engrenages, son propre frein. Ce choix n’était pas un luxe : c’était une manière de créer un véhicule dont la propulsion ne pouvait pas subir un “point de défaillance unique”. D’un point de vue économique, cela revient à dire qu’une mission doit maximiser le rendement des batteries en minimisant le risque de panne immobilisante.

Ce principe de modularité énergétique, soit plusieurs petits moteurs plutôt qu’un gros, plusieurs petites charges plutôt qu’une seule, se retrouve aujourd’hui dans les projets contemporains. GM, par exemple, imagine un rover où chaque module moteur et chaque segment de batterie est échangeable. Toyota-JAXA planifie une architecture où des packs entiers seront remplacés par des robots logistiques. La philosophie Apollo revient en force : sur la Lune, la fiabilité a plus de valeur économique que la performance brute.

Le vrai héritage du LRV 

Le rover Apollo aurait pu parcourir 57 km. Il n’en a jamais fait autant. La NASA imposait une règle : ne jamais s’éloigner au-delà de la distance permettant un retour à pied si la batterie tombait à zéro. Cette limite, souvent oubliée, est la première “régulation” énergétique lunaire : un arbitrage entre autonomie potentielle et sécurité. Aujourd’hui, alors que l’on parle de rovers semi-autonomes capables d’explorer des régions éloignées, cette contrainte ressurgit dans une autre forme : une base lunaire ne pourra s’étendre qu’à la distance permise par l’énergie disponible pour l’exploration, la maintenance et les retours. L’économie lunaire sera donc centrée sur une idée simple : la mobilité dépendra de la souveraineté énergétique locale.

Les trois rovers Apollo sont toujours sur la Lune. Leurs batteries argent-zinc sont vides, froides, probablement fissurées, mais elles témoignent d’un fait fondamental : la Lune est un environnement où rien ne se recycle automatiquement. Le moindre kilogramme de batterie devient un résidu stratégique. Le LRV nous montre que la dépendance aux batteries est un verrou, mais aussi une incitation à inventer des cycles fermés : packs interchangeables, dépôts énergétiques robotisés, stations de recharge solaires itinérantes, micro-réseaux entre habitats. En d’autres termes : Apollo a montré la contrainte. Le XXIᵉ siècle devra inventer l’écosystème.

Crédit photo : Logo officiel de la NASA – @NASA

Penser la future économie lunaire

Le Lunar Roving Vehicle n’était pas un laboratoire mobile. Pourtant, c’est exactement ce qu’il est devenu : un prototype involontaire de l’économie des batteries lunaires. Son énergie limitée, son architecture modulaire, son refroidissement improvisé, son autonomie théorique bridée, ses batteries jetables et son abandon sur place forment une matrice que les industriels d’aujourd’hui tentent encore de résoudre. À une époque où GM, Toyota, JAXA, Lockheed Martin et d’autres imaginent des services de mobilité lunaire, rovers partagés, plateformes logistiques, voire « taxis du régolithe », le petit véhicule d’Apollo leur rappelle une vérité essentielle : sur la Lune, la première ressource rare n’est pas l’eau, ni les métaux, ni l’hélium-3 mais l’énergie utilisable. Et là-haut, toute économie commence par une batterie.

Sources : Wikipédia – www.fst.com – www.evokemotorcycles.com – www.nasa.gov

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