Le Canada affiche des ambitions parmi les plus élevées au monde avec un objectif de 100 % de ventes de véhicules zéro émission d’ici à 2035. Mais en 2025, la réalité du terrain est tout autre : les ventes de véhicules électriques s’effondrent, l’infrastructure peine à suivre et les incitations gouvernementales qui avaient porté le marché ont brutalement disparu.

Un marché automobile stable, l’électrique en chute libre
Le marché automobile canadien affiche une relative stabilité, avec environ 159 000 véhicules vendus en octobre 2025, soit une baisse de 1,8 % par rapport à octobre 2024. Une légère baisse certes, mais sur les neuf premiers mois de l’année, le Canada totalise près de 1,45 million d’unités vendues, une hausse de 5,9 % par rapport à la même période de l’an passé. Un marché global en bonne forme donc, mais malheureusement, ces chiffres masquent une réalité bien plus sombre pour le secteur de la mobilité électrique.
En effet, les véhicules zéro émission (VZE) connaissent une année 2025 catastrophique. Au deuxième trimestre, leur part de marché est tombée à 9,2 %, contre 9,7 % au premier trimestre. Plus frappant encore, en juin 2025, ce sont 14 090 véhicules zéro émission qui ont été vendus ; ce chiffre représente une baisse significative de 35,2 % par rapport à juin 2024. Sur le premier semestre 2025, même constat : 79 476 véhicules électriques ont été vendus, soit une baisse de 29,8 % par rapport à la même période de 2024. Une dégringolade spectaculaire qui s’explique principalement par l’arrêt des subventions.
La fin des incitations : un coup dur
Comme expliqué en amont, l’objectif du pays dans la transition énergétique des transports est ambitieux. Pour parvenir à augmenter drastiquement l’adoption des VE, le gouvernement a dû mettre en place des incitations budgétaires. Le programme fédéral iZEV (Incentives for Zero-Emission Vehicles), lancé en mai 2019, offrait jusqu’à 5 000 $ CAD de rabais pour l’achat d’un véhicule électrique neuf. Un dispositif qui avait permis à plus de 185 000 Canadiens de passer à l’électrique.
Mais en janvier 2025, le gouvernement a annoncé la suspension du programme, ayant épuisé son enveloppe budgétaire. Une décision qui a provoqué un effet immédiat : les ventes de BEV ont chuté de 57 % entre le quatrième trimestre 2024 et le premier trimestre 2025. Les hybrides rechargeables ne sont pas en reste non plus : les ventes ont connu une baisse de 44 % sur la même période.
Le Québec, locomotive historique de l’électromobilité au Canada (forte incitation financière, taux d’adoption élevé des VE et réseau de recharge développé), a également suspendu ses incitations provinciales en février et mars 2025. Dans cette province, les immatriculations Tesla sont passées de 5 097 véhicules au quatrième trimestre 2024 à seulement 524 au premier trimestre 2025, soit une chute vertigineuse de 90 %. Malgré tout, les provinces canadiennes sont autonomes sur certaines politiques, et en ce sens, le Québec a pu relancer le programme d’incitation « Roulez Vert » dès le 1er avril 2025, permettant aux Québécois de bénéficier d’une aide à l’achat d’un véhicule électrifié allant jusqu’à 4 000 $ CAD.
Ces chiffres témoignent d’une dépendance aux aides publiques et révèlent la fragilité du marché canadien : lorsque les subventions s’arrêtent, les ventes s’effondrent immédiatement.
Les hybrides : les grandes gagnantes de 2025
Cette baisse drastique des ventes a profité aux véhicules hybrides classiques, qui sont parvenus à tirer leur épingle du jeu. Pour la première fois en 2025, ils ont dépassé les véhicules zéro émission en part de marché. Au deuxième trimestre, les hybrides classiques représentaient 12,9 % des ventes, contre 9,2 % pour l’ensemble des VZE.
C’est un basculement dû à plusieurs facteurs communs à d’autres pays : les véhicules électriques sont jugés trop coûteux par les automobilistes et les infrastructures de recharge sont encore trop peu nombreuses au Canada. Les hybrides apparaissent comme un compromis.

Un réseau de recharge insuffisant
Le Canada compte environ 33 767 points de recharge publics répartis sur 12 955 stations en mars 2025, une augmentation de 24,2 % par rapport à l’année précédente. Une progression encourageante, mais très en deçà des besoins, car avec ses 39 millions d’habitants et son territoire immense de près de 10 millions de km², le Canada souffre d’une couverture géographique dispersée, rendant les trajets longue distance plus difficiles pour les utilisateurs de véhicules électriques.
À titre de comparaison, la France dispose de plus de 163 000 points pour 67 millions d’habitants, répartis sur « seulement » 551 000 km².
Selon une étude du cabinet Dunsky Energy and Climate, le Canada aurait besoin de 100 520 bornes de recharge pour atteindre ses objectifs. En 2021, le même cabinet estimait que le pays devrait disposer de 52 000 bornes dès 2025. Le retard de développement est donc bien présent.
Les disparités régionales sont marquées. La Colombie-Britannique et le Québec concentrent l’essentiel de l’infrastructure. Les provinces de l’Atlantique, les Prairies et le Nord canadien restent largement sous-équipés.
Le réseau Supercharger de Tesla demeure le plus vaste du pays. En 2025, Tesla a ouvert ses bornes aux véhicules d’autres marques. Des initiatives prometteuses voient le jour : en février 2025, l’entreprise australienne Jolt a reçu 194 millions de dollars pour installer jusqu’à 1 500 chargeurs dans les centres urbains.
General Motors détrône Tesla
L’année en cours a également été le témoin d’un changement majeur en termes de suprématie des constructeurs : General Motors est devenu le premier vendeur de véhicules électriques au Canada, détrônant Tesla. GM s’appuie sur un portefeuille élargi avec 13 modèles électriques répartis entre Chevrolet, Cadillac et GMC.
Tesla, qui détenait près de 50 % des parts de marché des véhicules électriques au début de 2022, n’en représente plus que 10 % en avril 2025. Cette chute s’explique notamment par l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché.

Acteurs canadiens clés
Le Canada développe progressivement sa chaîne industrielle EV :
- Lion Électrique, fabricant québécois de bus et camions électriques, totalise plus de 1 400 véhicules en circulation en 2025.
- DANA TM4, également basé au Québec, conçoit et produit des moteurs électriques pour bus, camions et véhicules industriels, au Canada et à l’international.
- Electrify Canada, réseau de bornes ultra-rapides, déploie ses infrastructures dans plusieurs provinces, mais reste encore limité par rapport aux besoins.
Ces acteurs existent et croissent, mais leur part de marché reste modeste, et aucun acteur local ne domine le marché EV national.
Le mandat de 2035 : un objectif irréaliste
Dans l’optique de valider ses objectifs de transition énergétique des transports, le gouvernement canadien imposait jusque-là aux constructeurs des objectifs de ventes progressifs : 20 % de VZE d’ici à 2026, 60 % d’ici à 2030 et 100 % d’ici à 2035. Mais en septembre 2025, coup de théâtre : le gouvernement a suspendu les objectifs pour l’année modèle 2026. Le premier ministre Mark Carney a justifié cette pause par la nécessité de donner de la « flexibilité » aux constructeurs.
Le Québec a, pour sa part, ajusté ses objectifs : en septembre 2025, le gouvernement a remplacé l’objectif de 100 % de ventes de véhicules zéro émission en 2035 par une cible de 90 %, incluant désormais les hybrides rechargeables, une décision qu’il justifie comme un compromis pragmatique face aux « réalités nord-américaines » du marché.
Une question se pose désormais : comment le Canada peut-il espérer atteindre 100 % de ventes électriques en 2035 quand il peine à dépasser 10 % en 2025 ?

Les défis structurels persistent
Le Canada fait face à plusieurs obstacles majeurs :
- Le prix d’achat : sans subventions, les véhicules électriques restent hors de portée pour de nombreux Canadiens. Alors qu’en Europe plusieurs modèles d’entrée de gamme sont proposés à moins de 25 000 €, et que la Chine compte parmi les véhicules électriques les plus abordables du monde, le Canada se distingue par une offre beaucoup plus limitée. Les modèles les moins chers y débutent autour de 30 000 $ CAD (environ 19 000 €). Malgré ce niveau de prix équivalent, le choix de véhicules réellement accessibles reste restreint, ce qui renforce l’idée que, sans aides gouvernementales, l’électrique demeure difficilement accessible pour une grande partie des ménages canadiens.
- Les conditions climatiques : les hivers rigoureux réduisent l’autonomie des batteries de 20 à 40 %, un défi pour les constructeurs et les automobilistes qui doivent s’adapter à ces conditions régionales exigeantes et contraignantes. Avec un réseau de recharge ainsi développé, l’adoption des VE est compliquée.
- Les disparités régionales : ce territoire très étendu n’est pas développé à la même échelle. Quand la Colombie-Britannique et le Québec affichent des parts de marché électriques de 11,8 % et plus, l’Ontario, l’Alberta et les provinces de l’Atlantique accusent quant à elles un retard considérable, notamment en matière d’infrastructures de recharge.
- L’attachement aux pick-up : le Canada est l’un des pays où la part des camionnettes et pick-up est la plus élevée au monde. Or les pick-up électriques sont chers et leur autonomie chute fortement en hiver ou en remorquage. Pour beaucoup de Canadiens, l’offre électrique actuelle ne correspond pas aux besoins réels (remorque, longues distances, travail extérieur).
Le Canada, un pays ambitieux mais limité
Le Canada incarne en 2025 les contradictions de la transition électrique. Doté de l’une des réglementations les plus ambitieuses au monde, le pays se retrouve pourtant à la traîne de l’Europe et de la Chine.
Pourtant, le Canada dispose d’atouts considérables : d’immenses réserves de minéraux critiques, une industrie automobile établie et un mix électrique relativement propre. Mais ces atouts ne suffiront pas. Sans une stratégie claire, des investissements massifs dans les infrastructures et des incitations stables, le Canada risque de voir ses ambitions de 2035 non établies. La transition électrique canadienne est aujourd’hui en suspens.















