C’est un tournant majeur dans la politique climatique européenne. Hier à Bruxelles, la Commission européenne a mis un terme à l’un des symboles du Green Deal : l’interdiction totale de la vente de véhicules à moteur thermique à partir de 2035. Le principe du « zéro gramme de CO₂ à l’échappement » disparaît au profit d’un objectif jugé plus réaliste : une réduction de 90 % des émissions moyennes des voitures neuves par rapport à 2021.

Autrement dit, Bruxelles conserve la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050, mais introduit une marge de flexibilité limitée après 2035. Des véhicules thermiques ou hybrides pourront encore être vendus, à condition de compenser leurs émissions via des carburants synthétiques, des biocarburants durables ou des procédés industriels bas carbone. Ce n’est pas un renoncement, mais un ajustement entre ambition climatique et réalité économique.
Pourquoi Bruxelles infléchit sa stratégie
Fort heureusement pour les objectifs climatiques, ce recul apparent n’est pas idéologique. En effet, il s’inscrit dans une logique de réalisme industriel. En 2025, même si les ventes de véhicules 100 % électriques augmentent en France, elles stagnent sur plusieurs marchés, notamment en Allemagne, en Italie et dans certains pays d’Europe centrale. Le prix élevé des modèles, la dépendance encore trop importante à la Chine pour les batteries et le retard des infrastructures fragilisent le plan initial.
Le commissaire européen Stéphane Séjourné évoque à ce sujet une « approche pragmatique » : le tout-électrique forcé, imaginé en 2023, se heurte aux réalités économiques de 2025.

Le cadre initial du Green Deal
Reprenons le texte qui régissait cette vision de l’industrie automobile future : le « Green Deal européen ». Il prévoyait qu’à partir de 2035, toute voiture neuve serait à zéro émission directe. En bref, les voitures essence, diesel et hybrides rechargeables n’auraient pas pu être vendues neuves. Logiquement, il restait le 100 % électrique ou l’hydrogène.
Un objectif ambitieux, mais difficile à tenir sans casse industrielle. Et effectivement, face au coût des batteries et à la pression asiatique, Bruxelles admet que le rythme doit changer. Le nouvel objectif de –90 % conserve la direction, mais donne un peu d’air à une industrie sous tension.
–90 % d’émissions : ce que ça change
Avec ce nouvel objectif, la grande majorité des ventes restera électrique ou à zéro émission directe. Mais une petite marge de flexibilité pourrait être accordée : les constructeurs auraient la possibilité d’inclure une part limitée de modèles thermiques ou hybrides, à condition que la moyenne des émissions de CO₂ de leur flotte respecte la baisse de 90 % par rapport à 2021.
Ces quelques modèles, tolérés à la marge, devraient s’appuyer sur des carburants de synthèse, des biocarburants ou des procédés de production bas carbone pour compenser leur impact. Pour les constructeurs, ce scénario offrirait un levier de transition, le temps de rentabiliser leurs plateformes hybrides et d’accompagner la montée en puissance du tout-électrique.
Berlin et Rome en première ligne
Derrière ce compromis, l’Allemagne et l’Italie ont pesé de tout leur poids. Les décideurs allemands plaidaient depuis des mois pour la reconnaissance des e-fuels. Rome, de son côté, voulait préserver ses sites de production thermique, essentiels à son tissu industriel.
Côté français, la réticence dominait au premier abord, puis la France a fini par accepter, à condition de protéger les investissements européens réalisés dans l’électrique. Emmanuel Macron a souligné la nécessité de renforcer la filière européenne plutôt que de la fragiliser.

L’électrique reste au cœur
Pour autant, malgré une décision qui pourrait tempérer l’élan des constructeurs de voitures électriques, Bruxelles ne tourne pas le dos à la mobilité zéro émission. Au contraire, la Commission entend préserver l’électrique comme pilier central de la décarbonation du transport routier, tout en ajustant sa stratégie industrielle.
Le nouveau cadre s’accompagne d’un soutien accru aux petites voitures électriques fabriquées en Europe, afin de contrer les modèles chinois à bas coût.
La Commission promet également de simplifier les procédures industrielles, comme les procédures d’homologation, d’assouplir les aides d’État pour encourager l’investissement dans les usines de batteries et d’accélérer les projets de gigafactories. De plus, l’idée serait de favoriser l’innovation dans les batteries solides, la recharge bidirectionnelle et le recyclage.

ONG en colère, industrie soulagée
Mais cette réorientation plus réaliste, largement tournée vers la compétitivité européenne, ne fait pas l’unanimité. En effet, les ONG dénoncent un recul climatique et un signal brouillé envoyé à l’industrie. À ce sujet, Greenpeace parle d’un « pas en arrière historique ».
À l’inverse, les constructeurs accueillent le compromis comme une bouffée d’air : il leur offre un délai supplémentaire pour financer la montée en puissance du tout-électrique sans mettre en péril leur équilibre financier.
Et maintenant ?
La proposition devra être validée par le Parlement européen et les États membres courant 2026. Si elle passe, la transition restera largement électrique, mais plus soutenable pour l’industrie.
Pour les constructeurs, l’enjeu est clair : proposer des voitures électriques compétitives, désirables et abordables, tout en continuant à innover.
Cette décision européenne marque la fin d’une transition pensée sans amortisseurs, pour le début d’une ère plus pragmatique.

















