À six jours de l’annonce du paquet automobile de la Commission européenne, deux lettres ouvertes aux tonalités opposées viennent d’atterrir sur le bureau d’Ursula von der Leyen. Si elles touchent toutes deux à l’avenir de la transition électrique, elles ne portent pas exactement sur les mêmes batailles. Ensemble, elles révèlent l’ampleur des tensions qui agitent le secteur automobile européen.
Lundi 8 décembre : 67 acteurs rejettent les quotas pour les flottes

Le 8 décembre, une coalition de 67 acteurs majeurs du monde de l’automobile a adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Parmi ces acteurs, des constructeurs comme BMW et Toyota, des géants de la location (Avis, Hertz), mais également des entreprises de leasing (Arval, Ayvens). Leur message : les quotas obligatoires pour l’électrification des flottes d’entreprise seraient « extrêmement préjudiciables ».
L’enjeu est important, car les flottes professionnelles (voitures de fonction incluses) représentent entre 50 et 60 % des ventes de voitures neuves dans l’UE selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA). Le paquet du 16 décembre devrait justement inclure des propositions sur ce segment clé.

Selon ces acteurs, les vrais obstacles à l’adoption des VE restent les coûts d’achat et d’exploitation, ainsi qu’une infrastructure de recharge insuffisante. Imposer des objectifs contraignants placerait les entreprises face à un dilemme : conserver leurs véhicules plus longtemps ou réduire leurs achats de véhicules neufs. Une action contre-productive dans les deux cas, selon les plaignants.
Face à ces problèmes, différents pays européens ont trouvé la parade : dans ces pays européens où l’adoption progresse le plus vite, c’est la combinaison d’incitations financières et d’investissements massifs dans l’infrastructure qui fait la différence. La lettre insiste aussi sur la nécessité d’incitations pour le marché de l’occasion, sachant que de nombreux véhicules en leasing sont revendus après deux ou trois ans.
Des revendications qui semblent être compréhensibles. Cependant, l’association Climate Group plaide pour maintenir des objectifs stricts. Elle rappelle que plus de 120 entreprises, dont EDF, Ikea, Siemens et Unilever, se sont déjà engagées de leur propre initiative à convertir leurs flottes au 100 % électrique.
Mercredi 10 décembre : 200 signataires défendent l’objectif 2035
Deux jours plus tard, une autre lettre, cette fois sur les objectifs globaux, a été envoyée à von der Leyen. E-Mobility Europe et ChargeUp Europe, soutenus par près de 200 signataires dont Polestar et Volvo Cars, appellent la Commission à maintenir fermement l’objectif de zéro émission pour les voitures neuves d’ici 2035.
« Nous sommes profondément préoccupés par les récents efforts visant à diluer vos objectifs », écrivent-ils. La cible de cette lettre : déjouer les pressions exercées par certains constructeurs allemands et par l’ACEA pour obtenir plus de flexibilité sur les objectifs CO₂ et assouplir l’interdiction des ventes de voitures thermiques en 2035.
L’inquiétude porte notamment sur la réouverture de la porte aux hybrides rechargeables et aux carburants neutres en CO₂. Selon eux, cette approche créerait de l’incertitude et ralentirait la transition vers l’électrique, alors même que les constructeurs chinois progressent à grande vitesse et réduisent leurs coûts.
Le message est sans appel : « Chaque retard en Europe ne fait qu’élargir l’écart avec la Chine. » Pour ces acteurs, tout recul compromettrait les investissements déjà engagés et creuserait définitivement le fossé avec le géant asiatique.

Le 16 décembre, jour de vérité
Le paquet automobile, dont la publication a déjà été retardée d’une semaine, cristallise toutes les attentions. Il pourrait accorder plus de flexibilité sur les objectifs CO₂, assouplir l’interdiction des thermiques en 2035, et inclure des mesures spécifiques sur les flottes d’entreprise.
Le dossier a fait l’objet d’un lobbying frénétique ces dernières semaines, avec un flot de lettres qui ont inondé Bruxelles avant l’annonce.
Ces deux prises de position, bien qu’elles ne portent pas exactement sur les mêmes combats, révèlent les lignes de fracture du secteur. D’un côté, des acteurs qui réclament pragmatisme et flexibilité. De l’autre, des défenseurs de la transition qui craignent que tout assouplissement ne compromette l’ambition climatique européenne et sa compétitivité face à la Chine.
Le 16 décembre apportera des réponses sur plusieurs fronts : le niveau d’ambition maintenu pour 2035, la flexibilité accordée sur les objectifs CO₂, le sort des hybrides, et les éventuelles obligations pour les flottes. Le compromis s’annonce délicat.

















